Pour l’UE, une défaite sur le dossier ukrainien signifierait un coup d’arrêt à son « extension à l’Est », surtout après les propos récents du chef de la Commission européenne José Manuel Barroso, qui a affirmé que la Roumanie et la Bulgarie n’entreraient pas dans l’espace Schengen au 1er janvier 2014. Soyons clairs : pour Bruxelles, les négociations avec l’Ukraine sont avant tout destinées à ce que celle-ci ne rejoigne pas une alliance potentielle avec la Russie. En clair, que ne se reforme pas l’alliance eurasiatique comprenant Russie/Biélorussie/Ukraine a l’Ouest et les « Stan » au sud, soit un ensemble de près de 265 millions d’habitants. Pour la Russie, l’intégration de l’Ukraine est une question plus émotionnelle que stratégique, le pays ayant clairement choisi de se tourner (au moins pour la prochaine grosse décennie) vers l’Est et l’Asieplus que vers l’Ouest et l’Europe et ayant surtout mis en place un dispositif visant à contourner l’Ukraine dans le cadre de l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Mais en même temps, l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’Union douanière puis eurasiatique signifierait la possible Est-européanisation de cet ensemble qui pourrait des lors s’étendre au cœur des Balkans, replaçant la Russie comme le cœur du monde euro-oriental et orthodoxe.
Pour le président Ianoukovitch, l’avenir semble bien compliqué.
La libération de Timochenko, préalable aux négociations avec Bruxelles, signerait sans doute sa mort politique, celle-ci pouvant présenter un risque politique aux prochaines élections présidentielles de février 2015. Mais Ianoukovitch n’est pas indépendant et doit se plier aux volontés des oligarques du Donbass et de l’Est du pays (zones traditionnellement prorusses et où paradoxalement une majorité des citoyens souhaitent rejoindre le giron russe), oligarques qui craignent eux largement plus Moscou que Bruxelles.
Mais surtout, la démographie ne semble pas jouer dans en faveur de Ianoukovich. En effet, la partie Est (pro russe) et centrale/Nord du pays (plus pondérée) se dépeuple plus rapidement que la partie Ouest, pro-européenne électoralement parlant. En outre, dans son ensemble, la population ukrainienne semble elle toujours plus décidée à rejoindre l’Union Européenne que l’Union douanière (41% contre 35%) et cette tendance est plus accentuée au sein des classes d’âges les plus jeunes pendant que les plus de 50 ans sont eux plus enclins a souhaiter une intégration à l’Union douanière, comme on peut le constater ici.
Que pourrait-il-se passer ?
L’évolution démographique qui devrait donner un avantage un peu plus certain au candidat opposé à Ianoukovitch pourrait être atténuée si ce candidat s’avérait être un candidat très (trop ?) ancré à l’Ouest du pays et pourquoi pas issu des mouvements nationalistes. Ou s’il s’agissait d’un candidat sans trop de charisme ni d’expérience politique comme le boxeur Vitali Klitchko qui a par ailleurs le soutien officiel de la CDU Allemande. Que dirait-on du reste si Russie Unie soutenait ouvertement un parti politique en France ou ailleurs ?
Mais il y a une autre possibilité sans doute tout aussi plausible : celle que la situation économique et politique ne s’aggrave sensiblement en Europe de l’Ouest et que l’idéalisme outrancier d’une partie des élites ukrainiennes (lire cet article pour s’en convaincre) ne se brise sur de bien sombres réalités économiques et sur l’inertie d’une UE exsangue.
En 2015, le pragmatisme pourrait alors l’emporter et contraindre les Ukrainiens à faire le choix de se rapprocher, par défaut tout autant que par conviction, encore plus de la Russie et donc à moyen terme de l’Union eurasiatique. N